Séville ou la fulgurante transformation d'une ville cyclable
Séville ou la fulgurante transformation d'une ville cyclable

Séville ou la fulgurante transformation d’une ville cyclable

Comment la capitale andalouse s'est mise au vélo

Article publié le mardi 23 juin 2020 à 08h17 et mis à jour le vendredi 17 juin 2022 à 13h02.

Depuis plus de 10 ans maintenant, je tente de vulgariser la mobilité vélo par le traitement de son actualité et les tests matériels. J'ai aussi la chance de pouvoir visiter de nombreuses villes à travers l'Europe, et parfois plus loin (Copenhague, Berlin, Dublin, Montréal…), du moins quand les conditions sanitaires le permettent.

"Le développement du vélo n'arrive jamais par hasard"

Le développement du vélo n'arrive jamais par hasard. Il est tantôt le fruit d'une revendication citoyenne (Berlin et son "Volksentscheid Fahrrad", les Pays-Bas et le mouvement "Stop de Kindermoord"...), tantôt le résultat d'une politique volontariste (Copenhague, Utrecht).

Si certaines de ces villes précitées ont désormais un réseau vélo ancien, ce n'est pas le cas de Séville. La cité andalouse s'est mue en ville cyclable en seulement quelques années, passant d'une part modale vélo proche du zéro à plus de 10% de déplacements réalisés à vélo aujourd'hui.

Un petit cliché carte postale de Séville, la Plaza de España

"Je n'ai que deux heures devant moi mais c'est largement suffisant pour faire le tour de la ville à vélo" me dit Manuel Calvo.

Je débarque tout juste de Cadix après un voyage de presse pour découvrir les charmes andalous de l'Eurovelo 8, et à nouveau le hasard joue en ma faveur. Alors que nous sommes sur la route entre Cadix et Séville, Raul, notre guide, me parle de son collègue de travail, un homme très impliqué dans la mobilité vélo à Séville.

En creusant un peu, je comprend que cet homme n'est autre que Manuel Calvo-Salazar, l'homme par lequel le "miracle cyclable" de la ville est arrivée. De lui, de son travail et de son implication vélo pour la ville, j'avais pu lire plusieurs articles dans la presse internationale (ici, ici ou encore - une autre vidéo ici). Ni une ni deux, je demande à Raul d'arranger une entrevue. C'est chose faite et nous nous retrouvons deux heures plus tard au Mercado del Arenal, à deux pas du centre historique. J'aime définitivement le hasard.

Tout est parti d'un sondage

Le petit "clac" caractéristique d'une célèbre marque anglaise, Manuel déplie le triangle arrière de son Brompton vert d'eau (le mien est resté en France) et notre duo cycliste se met en branle. Nous stoppons à peine 1 km plus loin sur la Plaza de Puerta Jerez. Il me montre sur son téléphone l'évolution du schéma cyclable au fil des années.

Séville est passée d'un réseau cyclable embryonnaire à un réseau dense en très peu de temps

Séville est à peine moins grande en nombre d'habitants que Paris (1,9M contre 2,1M). Comme la capitale française elle est relativement plate mais un peu plus étendue (140 km² contre 105 km²).

En 2005, cet embryon de réseau vélo ne totalise que 12 km. Un réseau disparate, sans cohésion et completement décousu. Le gouvernement municipal est à l'époque entre les mains d'une coalition entre le parti socialiste (PSOE) et une plate-forme de gauche (Izquierda Unida).

La même année, le maire de l'époque, Alfredo Sánchez Monteseirín, dans une volonté de greenwasher son programme, va lancer un sondage avec une question simple, mais lourde de conséquence (heureuse) : "Pensez-vous que des infrastructures cyclables seraient bonnes pour Séville?".

"Le maire Monteseirín n'a eu d'autres choix que de mettre son plan mobilité active à exécution"

Le résultat de ce sondage: 90% de OUI ! Quand vous demandez à des élus s'ils sont pour le vélo, la réponse est généralement "bien sûr !" Mais quand ceux-ci s'aperçoivent que c'est aussi la volonté de la plus grande partie de leur concitoyens, l'attentisme n'est plus de rigueur. Le maire Monteseirín n'a eu d'autres choix que de mettre son plan mobilité active à exécution.

A ce moment-là, Manuel Calvo décide de contacter la personne en charge de l'urbanisme sévillan, José García Cebrián, pour proposer son aide dans l'élaboration d'un plan vélo qui verrait augmenter le réseau cyclable de 10 km chaque année pendant 8 ans.

"Le but étant que la construction du schéma directeur cyclable soit terminée juste avant les prochaines élections"

Mais la volonté de la ville est d'aller vite. Pas vraiment un choix de raison, mais plutôt une stratégie politique, le but étant que la construction du schéma directeur cyclable soit terminée juste avant les prochaines élections. Ainsi, en seulement 1 an et demi, 80 km de pistes cyclables ont vu le jour.

Pour réaliser ce nouveau réseau cyclable, il a fallu trouver de la place. C'est pourquoi la municipalité a choisi de supprimer 5000 places de stationnement voiture. Ainsi, la plupart du temps, l'espace a été pris sur la chaussée motorisée. Et pour éviter un retour en arrière trop facile en cas de perte de majorité, les pistes cyclables ont été le plus souvent tracées sur le trottoir. En procédant ainsi, il est plus difficile de retransformer cet espace en parking.

"L'objectif est de travailler le maillage afin de faciliter au maximum la vie des cyclistes"

Dès le départ, l'équipe municipale, avec le support de Manuel Calvo, a pensé le schéma cyclable en un réseau structurant et sans coupures. L'objectif n'est pas seulement de tracer des pistes mais aussi de travailler le maillage afin de faciliter au maximum la vie des cyclistes, tout en s'assurant de leur sécurité.

Manuel me guide jusqu'à la gare San Bernardo, au sud-est de la ville. Toujours dans cette idée d'assurer l'interconnexion des différents modes de transport, le réseau cyclable a été directement raccordé a cet important pôle multimodal, où se croisent métros, bus, cars et trains de banlieue (Le journaliste Olivier Razemon le sait, tout se passe mal quand "l'interconnexion n'est plus assurée"...).

Sur cette photo, on voit nettement la connexion entre la première partie du réseau (au fond) et la seconde, plus large, ayant repris de l'espace sur la voirie motorisée

En 2010, le réseau vélo de Séville grossit de 40 km supplémentaires, portant ainsi le total à 120 km, soit 10 fois plus de linéaire cyclable qu'à peine 5 ans auparavant. Cette nouvelle partie du réseau a notamment fait place à des pistes élargies, afin d'accueillir un flux cycliste de plus en plus important.

"Entre-temps, la population sévillane s'est découvert une nouvelle passion pour le déplacement à vélo"

Car entre-temps, la population sévillane s'est découvert une nouvelle passion pour le déplacement à vélo et s'est largement emparée de toutes ces nouvelles pistes cyclables sécurisées. A peine un an après que le premier tronçon soit opérationnel, Manuel me confie qu'il était même difficile d'acheter un vélo sur Séville, les magasins étaient obligés d'en importer depuis d'autres villes espagnoles ! (Ne se passe-t-il pas la même chose actuellement en France suite au déconfinement...?)

Nous continuons notre tour des infrastructures par le "périphérique vélo" qui suit le même tracé que les boulevards urbains qui ceinturent le centre-ville historique. Le réseau cyclable est peu présent dans le vieux centre, d'une part car il est difficile de toucher à une voirie aux pieds de bâtiments souvent classés, et d'autre part car les artères sont souvent étroites (et pavées), facilitant ainsi la réduction de la vitesse motorisée et le cheminement cycliste.

Petit détour par l'entrée d'une école primaire. Manuel me montre cet endroit qui avait l'habitude de se transformer en Drive pour déposer les enfants en voiture. Sur le principe de l'urbanisme tactique, Manuel a suggéré à la ville de simplement modifier la voirie avec quelques potelets de couleurs et des ronds de peinture. Résultat : le changement de comportement a été quasi-immédiat et les enfants n'étaient plus mis en danger par les automobilistes.

"Croiser de nombreux enfants et adolescents à vélo, accompagnés ou non. Une preuve flagrante d'une politique cyclable réussie"

Au gré de notre visite des infrastructures cyclables sévillanes, j'ai d'ailleurs pu croiser de nombreux enfants et adolescents à vélo, accompagnés ou non. Une preuve flagrante d'une politique cyclable réussie.

Le magasin Santa Cleta, lieu de culte pour tous ceux qui militent pour la cause vélo à Séville

Plus loin, Manuel tient à m'emmener un magasin de vélo au nord de la ville. Nous débarquons chez Santa Cleta ("la sainte bicyclette"), sorte de lieu de culte pour tous ceux qui militent pour la cause vélo à Séville. On peut y acheter ou louer tous types de vélo, du pliant au cargo, mais on retrouve aussi un espace détente et une bibliothèque. En plus du magasin, c'est aussi le siège de l'association "A Contramano" (à contre-courant), qui s'active dans le vélo depuis 1985. D'ailleurs, deux de leurs membres faisaient partie de l'équipe municipale au moment de l'élaboration du plan vélo.

Au mur, je découvre des coupures de presse affichant Manuel Calvo - avec moins de cheveux blancs - dressé fièrement au guidon d'un biporteur transportant ses enfants. Son engagement pour le vélo est un combat de longue date.

Nous arrivons au bord du canal Alphonse-XIII, cette voie d'eau traverse Séville du Nord au Sud, détournant les eaux du Guadalquivir. Sur les rives de ce canal existait déjà une voie cyclable et piétonne, similaire au parc Rives de Seine à Paris. Mais récemment, elle a été doublée par une bidirectionnelle sur la partie haute.

Si la municipalité ne comprenait pas bien l’intérêt de ce doublon, pour Manuel, c'est la bonne manière de voir les choses pour le vélo. La piste supérieure permet aux cyclistes pendulaires pressés d'aller vite tandis que celle le long du canal est plus propice à la flânerie et au vélo tourisme. On laisse ainsi le choix et on évite les conflits entre ceux qui vont au travail et ceux qui se promènent.

Je laisse mon guide d'un jour à ses obligations professionnelles en le remerciant vivement d'avoir partagé avec moi son enthousiasme pour le vélo et pour sa ville. Je repasse par l'Alameda de Hércules, la promenade d'Hercule, une place qui fut jadis un gigantesque parking pour automobilistes. Aujourd'hui, ils y sont seulement invités avec parcimonie. La place est désormais bordée de terrasses et est devenue un lieu très prisé par les sévillans, de jour comme de nuit.

Il règne dans cette citée un charme indescriptible pour le cycliste urbain que je suis. Nous sommes mi-septembre, c'est la rentrée, la reprise, et pourtant la métropole andalouse est dominée par un sentiment de calme. La circulation automobile reste intense sur les boulevards périphériques, mais le centre-ville demeure paisible, seulement dérangé par le bruit de pas des piétons, le bourdonnement des cyclistes et le tintement du tramway.

La transformation très rapide de Séville en ville cyclable fait écho à l'actualité. Gageons que les pistes cyclables "de transition" qui ont fleuri dans de nombreuses villes en France post-confinement, et qui ont vu débarquer un flux important de néocyclistes comme à pu connaitre Séville une décennie en arrière, fassent le même effet sur le développement du vélo urbain dans l'hexagone.

https://twitter.com/WeelzFr/status/1172407861478973441

Si vous êtes de passage dans cette superbe ville, je ne saurais que trop vous conseiller de la visiter à vélo. Pour cela, vous pouvez faire appel aux services de See By Bike, qui organise des tours guidés thématiques à vélo de Séville, le tout en Français et avec le sourire. Je les remercie de m'avoir fait découvrir cette ville aux richesses historiques et architecturales incroyables.

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