Mobilité urbaine, sans voiture pas de salut (?)
Mobilité urbaine, sans voiture pas de salut (?)

Mobilité urbaine, sans voiture pas de salut (?)

Article publié le mercredi 17 avril 2019 à 11h28 et mis à jour à 13h04.

Se déplacer en ville. Quelle gageure ? A écouter tous les spécialistes de la terre, heureusement le digital, l’intelligence artificielle, la voiture autonome, la e-mobilité (à prononcer immobilité curieusement) va révolutionner le quotidien de millions de citadins.

Collez un « e » devant chaque mot qui évoque le transport et Bim, la congestion, les pollutions disparaissent. Tel David Copperfield faisant disparaître un Boeing devant des milliers de spectateurs ébahis. Par curiosité je suis allé assister (dans le public) à une émission (web) télé que vous pouvez retrouver ici.

Evidemment c’était à l’atelier Renault. On peut donc penser que l’approche est légèrement partisane, un peu pro-voiture en quelque sorte, que les solutions de mobilité en banlieue parisienne passeront forcément par la voiture, d’ailleurs ce n’est pas moi qui le dit, mais le présentateur (écoutez attentivement le passage 14min 00 jusqu’à la conclusion).  Retranscrite ici, parce qu'on est sympa...

Eric Lemerle, Responsable Connaissance Client Méthode et Mobilité, Groupe Renault « […] et donc la voiture est un moyen qui a diffusé absolument partout et la voiture est un moyen qui est culturellement extrêmement installé chez nous (sous entendu la France/l’Ile de France). Et donc c’est à partir de là qu’il faut trouver des solutions, on ne peut pas juste l’enlever ».

Au présentateur de reprendre la parole pour relancer le débat : « exactement, donc voilà, la voiture c’est La solution aujourd’hui ».

End of the Game, comme dirait mon ado de fils.

Sauf que cette émission ne s’adresse pas aux ados et n’est pas animée par un ado.

Voici ce que cette émission m’inspire...

"En Corse, en voiture, on calcule ses déplacements en termes de temps passé, pas en termes de distance"

On tente de nous faire croire que l’île-de-France est comme la Corse, une île. En Corse, en voiture, on anticipe et calcule ses déplacements en termes de temps passé, pas en termes de distance. C’est la géographie du lieu et les infrastructures routières qui veulent cela. Éventuellement la saison (affluence l’été) et les conditions météo (neige sur les routes de montagne l’hiver).

En Ile-de-France, à écouter les experts c’est pareil. On anticipe et calcule ses déplacements en termes de temps passé et surtout pas en termes de distance. Et pourtant, l’Ile-de-France est la région de France la plus dense en infrastructures routières (sans parler des infrastructures de transports en commun).

La saisonnalité joue très peu. Quand les juilletistes et aoûtiens sont en vacances, les travaux sur la voirie explosent. La neige ? c’est pénible 2 ou 3 jours par an.

Différence entre distance réelle, distance pratique et distance perçue

Perdre son temps dans sa voiture -ou les transports- en Ile-de-France, serait donc une fatalité. Dans cette émission, pas un chiffre n’est donné sur les distances parcourues.

"Personne ne se pose la question de mettre un chiffre précis sur les distances parcourues"

On sait juste que dans le Département de Seine et Marne, les distances moyennes parcourues par les navetteurs sont deux fois plus élevées qu’ailleurs. Personne ne se pose la question de mettre un chiffre précis sur les distances parcourues. 5km? 10km? 20km? Et pourtant cette information est absolument essentielle.

Comment bâtir un plan de transport cohérent, qui répond aux attentes du plus grand nombre, tout en gardant un budget maîtrisé, si on n’évoque pas ces notions de distance. Distance réelle (à vol d’oiseau), distance pratique (combien de km pour aller de A à B en fonction des infrastructures) et distance perçue (oulalala, c'est tellement loin que j'ai besoin de ma voiture).

Différence entre proximité et accessibilité

D’ailleurs Dominique Rio, Expert en Mobilité à L’IAU Île-de-France aborde ce sujet très intéressant (mais pas assez pour l’émission) qui est la notion de proximité et d’accessibilité (16min 55). Ce qui est à proximité n'est pas forcément accessible. Inversement, une destination peut être éloignée et très accessible (Lille en TGV de Paris, c'est loin, mais très accessible).

Malheureusement, il biaise son discours et sa démonstration en l'articulant uniquement autour de la voiture. On a donc touché du doigt un point essentiel mais on l’a pris par le mauvais bout !  « Quand on n’a pas accès à la voiture, comment se rendre à des lieux pourtant proches ? son école, le centre bourg, … »

Le quai de la gare est à proximité… mais il est inaccessible
L’air libre, la liberté pour cet homme est à bout de bras et pourtant elle est inaccessible

Si cette émission n’est pas suffisante pour vous convaincre du problème sur la façon de penser, je vous invite à lire cet article du Parisien. Mathieu Flonneau, présenté comme un expert de la mobilité en tant qu’historien des mobilités (il est aussi « Maître de conférence à la Sorbonne »), nous explique les yeux dans les yeux « la vraie fracture entre les citoyens qui vivent en ville et la France dite périphérique qui n’a pas la même qualité de transports publics ».

"la voiture reste majoritairement le choix préféré des français pour se déplacer"

Sauf que plus bas dans le même article, on voit que 69% des urbains actifs utilisent leur voiture individuelle pour leurs déplacements (on suppose telle que l’information est présentée : c’est une utilisation quotidienne).

On constaterait donc que, bonne accessibilité ou pas des transports alternatifs, la voiture reste majoritairement le choix préféré des français pour se déplacer au quotidien. La fracture peut exister. Néanmoins le manque d’accessibilité aux transports alternatif n’est pas tant subi que cela. La fracture n’est pas dans l’accessibilité ni la proximité, mais dans le choix de mode de déplacement.

Les français ne se laisseraient-ils pas enfermer dans un discours trompeur? Sans la voiture point de salut ! La liberté passe par la voiture ! Ne réfléchissez pas trop, on l’a fait pour vous, à coup d’experts en i-mobilité. Cette émission ou cette interview sont de bons exemples.

Un enjeu social, économique, environnemental

Ma conviction - étayée par l’ensemble des lectures d’études que j’ai pu avoir ces dernières semaines - est la suivante: ces distances sont bien souvent envisageables à vélo (électrique ou musculaire).

Sauf que, pour envisager ce mode de transport comme étant une solution, il faut l’intégrer dans la réflexion et accepter de changer de paradigme. Il faut aussi que ceux qui s’occupent de concevoir et penser notre mobilité intègrent TOUS les paramètres, pensent et dépensent l’argent public pour notre bien.

Il faut aussi que les experts tiennent un discours plus juste, plus complet, moins partisan. Qu’ils apprennent à réfléchir au-delà des schémas pré-établis.

"Rendre les routes inter-urbaines plus cyclables est une solution plus simple, moins cher"

Comme ils le disent dans cette émission télé mentionnée en haut de ce billet la mobilité est un enjeu social, économique, environnemental et, j’irais plus loin, un enjeu de santé publique. On peut construire des dizaines de gares en Ile de France pour promouvoir le Grand Paris et mieux connecter les villes entre elles mais si on oublie l'accessibilité, la fameuse logistique du dernier kilomètre on n'a rien solutionné du tout. Une solution simple serait de rendre accessible ce qui est à proximité.

"Rendre les routes inter-urbaines plus cyclables est une solution plus simple, moins cher"

Le meilleur moyen de se déplacer pour aller à proximité est la marche à pied et le vélo… Rendre les routes inter-urbaines plus cyclables est une solution plus simple, moins cher, plus respectueuse de l’environnement que bien des aménagements proposés. Encore faut-il y penser et ajouter la volonté politique.

Pour la petite histoire, une fois l’émission terminée, le public a pu poser des questions, j’ai donc demandé, « vous parlez de temps de transport » jamais de « distance de transport, c’est problématique si on veut par exemple promouvoir le vélo (électrique ou musculaire) comme une solution de transport du futur , de quelles distances moyennes parlez-vous donc sur ces déplacements quotidiens?» .

Personne n’a su me répondre véritablement sur les distances moyennes des franciliens entre leur bureau et leur travail. Le monsieur de Karos interviewé m’a simplement répondu que la distance moyenne de co-voiturage sur leur site est de 18km. J’ai oublié de lui demander quel est le temps passé ensemble. On peut imaginer une heure…

Tout le monde phosphore autour d'une i-mobilité, d'un meilleur maillage de la région en transports publics, plus de parkings. Mais personne ne se dit, peut-être que la solution est ailleurs!

"la solution n’est pas dans un avenir SANS voitures mais avec MOINS de voitures"

Si ne serait-ce que 50% de ces usagers pouvaient se mettre au vélo, grâce à des infrastructures pensées pour ce mode de déplacement. Tout d’un coup, comme par hasard, les déplacements en voiture en Ile de France se calculeraient à nouveau en termes de distance et non en terme de temps passé dans la voiture et ce pour 100% des navetteurs.

On peut penser aussi que la solution en Île-de-France (et probablement dans l'ensemble des régions densément peuplées) n’est pas dans un avenir SANS voitures mais avec MOINS de voitures. Que l'avenir d'une mobilité efficace ne passe pas nécessairement par plus de transports en commun.

Ainsi les franciliens pourraient se rendre en Corse l'été avec leur voiture et goûter à nouveau aux plaisirs simples d' anticiper l'heure à laquelle il faut partir de leur lieu de résidence, pour arriver à la plage, après le coup de chaud de 14h00.

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