Marseille et le vélo : une histoire de hors-la-loi
Marseille et le vélo : une histoire de hors-la-loi

Marseille et le vélo : une histoire de hors-la-loi

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Marseille est une ville de 850.000 habitants dont la densité est de 3500 habitants au kilomètres carrés, ce qui est bien inférieur à d’autres grandes villes comme Lyon qui arrive à 10.000 habitants au kilomètre carré.

Cette faible densité nous indique que la ville est très étendue, ce qui n’est pas un point favorable au déplacement à vélo : après 5 kilomètres, plus les distances se rallongent, plus on préfère prendre la voiture. Il faut ajouter les dénivelés importants dans la ville de Marseille : du vieux port à la colline de notre dame de la garde, on a 150 mètres de dénivelé.

Si le climat moins pluvieux en hiver est plus propice au vélo, on peut aussi penser que la chaleur de l’été est décourageante. Dans tous les cas, je n’ai jamais observé que le climat était un élément déterminant dans le choix de pratiquer ou non le vélo.

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Par contre, la ville est la plus embouteillée de France et la vitesse moyenne d’un bus de ville est de 12 km/h, ce contexte semble favorable au vélo puisque avec une vitesse moyenne de 15km/h, il va plus vite que la voiture ou les bus.

Mais il n’en n’est rien, et le vélo est exclu des études de parts modales commandées par la ville. En réalité, la place du vélo à Marseille n’excède pas les 1%, tandis que la marche est majoritaire avec 34% des parts modales.

La ville dispose pourtant d’un réseau de vélos en libre-service, avec 130 stations et 1.000 vélos disponibles, le système "Le Vélo", géré par JC Decaux, semble à première vue destiné aux touristes. Mais lors de mes micros-trottoirs, j’ai aussi remarqué qu’il était apprécié par les habitants : ceci permet de contourner les problèmes de rangement de son vélo et les risques de vol.

Le vélo souffre encore d’une perception péjorative

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Pour Philippe Lebel, représentant du collectif Vélos en ville, le fait que Marseille soit une ville méditerranéenne joue beaucoup : le vélo est encore considéré comme le transport du pauvre, il est méprisé. On préfère acquérir une grosse voiture pour manifester son ascension dans l’échelle sociale.

On ne peut même pas dire que le vélo soit devenu « à la mode » et qu’il soit considéré comme « bobo » (comme dans beaucoup de villes), il est encore le transport du pauvre et c’est une des rares villes de France où on le voit encore comme ça.

"Marseille reste la ville la plus polluée et la plus embouteillée de France" En vous baladant dans Marseille, vous aurez plus de chance de rencontrer des cyclos sportifs que des cyclistes urbains. A fortiori, le vélo est considéré comme dangereux par les habitants, car la ville manque de pistes cyclables.

Philippe Lebel observe tout de même une augmentation (très faible) du nombre de vélo dans la ville. Marseille reste la ville la plus polluée et la plus embouteillée de France, ceci pourrait encourager à prendre son vélo mais cela a l’effet inverse : il y a trop de voitures et de pollution. La sécurité est le premier frein du vélo à Marseille, les gens n’osent pas se lancer. A part cela, on ne peut pas dire que les habitants voient le vélo d’un mauvais œil.

Pour Romain, directeur du magasin Marseille Cyclable, si le vélo ne se développe pas c’est à cause de la personnalité des marseillais qui seraient « trop feignant ». On peut quand même espérer faire une analyse un peu plus approfondie.

Malgré tout, on observe quelques belles histoires liées au vélo. Philippe Lebel d’expliquer comment le vélo est devenu un moyen d’émancipation pour les populations des quartiers, notamment les femmes qui viennent par elles-mêmes aux vélos écoles du collectif vélo en ville.

Cependant, même les conseils de quartier de Marseille (qui doivent représenter la démocratie participative et la concertation) sont hostiles aux aménagements cyclistes. En fait, ils sont très politisés et noyautés par les élus. Selon Philippe Lebel, ils sont instrumentalisés autour du conflit d’usage vélo-voiture pour empêcher les aménagements cyclables.

La voiture : moyen de transport préféré des élus

Dans une ville ou 20% de la population utilise sa voiture pour des déplacements courts (inférieurs à 1km), il est difficile d’être élu sans défendre le moyen de transport favori des habitants. La voiture devient ainsi le moyen de transport préféré des élus et ils en oublient vite l’existence de ce moyen de transport à deux roues qui fonctionne sans essence : la bicyclette.

Ainsi, la ville de Marseille n’a aucune connexion intermodale incluant le vélo. Il n’y a aucun parking à proximité des stations de bus ou de métro et on ne peut pas non plus y entrer son vélo comme c’est le cas à Berlin.

"Marseille est vraiment une ville ou la voiture est reine" La SNCF et la direction de la gare de Marseille sont dans la même logique, ils rejettent catégoriquement les propositions du CVV (collectif Vélos en ville) de mettre des arceaux vélo à proximité de la gare, alors que ceci aurait un coût financier très limité et que la gare Saint Charles dispose d’un vaste espace.

Au-delà des connexions intermodales, Marseille est vraiment une ville ou la voiture est reine, les élus sont très influencés par le lobbying des constructeurs automobiles et des maîtres d’œuvre. Tunnels et voies rapides se construisent sans cesse.

Par exemple, la ville a versé des millions d’euros à une société de construction pour construire un tunnel sous la place du Prado (un tunnel payant pour les utilisateurs et très rentable pour le constructeur).

L’objectif affiché était de désengorger la ville. Mais dans le même temps, elle a modifié les règles de circulation en surface pour y compliquer les déplacements (à vélo, en voiture ou à pied…) afin d’augmenter la fréquentation du tunnel et sa rentabilité. Certains y voient donc un conflit d’intérêt flagrant…

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Face aux embouteillages record de la ville, la municipalité préfère augmenter le nombre de voies de circulation, comme avec la très récente construction de la rocade L2.

Il convient là d’évoquer les analyses du mathématicien Dietrich Braess. Il nous démontre qu’un élargissement du réseau routier augmente l’engorgement des routes. En effet, si chaque conducteur emprunte le chemin qui lui paraît le plus favorable, les temps de trajet réalisés ne sont pas nécessairement les plus faibles.
"dans sa politique de déplacement urbain, la mairie ignore totalement le vélo" De plus, une extension du réseau routier peut entraîner une redistribution du réseau qui résulte en des temps de trajet plus longs. L’exemple le plus flagrant est celui de l'Interstate 10 à Houston au Texas, une autoroute à 24 voies … qui a été embouteillée aussitôt après sa création.

En fait, dans sa politique de déplacement urbain, la mairie ignore totalement le vélo, elle privilégie la voiture. Sur le plan des transports communs, la ville a choisi le tramway pour son avenir, il est beaucoup moins coûteux que le métro.

Ceci va surement créer des opportunités de voies cyclables en surface à proximité du tramway, encore faut-il que la métropole (chargée de la voirie) prenne conscience qui le vélo est un moyen de déplacement comme un autre.

Pour conclure sur la très faible place donnée au vélo dans la ville, le gouvernement a fixé un objectif indicatif de 1 mètre de piste cyclable par habitant en ville.

La ville de Marseille ne dispose que de 14 centimètres de pistes cyclables par habitant, c’est 1.000 fois moins que Strasbourg, avec 140 mètres de piste cyclable par habitant. Ce chiffre est flagrant : chaque fois qu’un marseillais peut faire 1m à vélo, un strasbourgeois peut faire … 1km.

Une métropole hors la loi

"la métropole a été condamné à cinq reprises - elle refuse d’appliquer le jugement"

14368628_1207893479249234_9218717770738271549_nHors la loi : personne ou institution se mettant délibérément en marge de la justice en refusant de se soumettre à ses principes et à ses règles. Et non, cet article ne parle pas du trafic de drogue des quartiers nord.

La hors la loi dont il s’agit est la métropole de Aix-Marseille. Ce n’est pas diffamer que de rappeler que la métropole a été condamné à cinq reprises par le tribunal administratif pour le non-respect de l’article L228-2 du code de l’environnement et qu’elle refuse d’appliquer le jugement qui a été rendu. En un mot, elle se met sciemment hors de la loi et hors de la justice.

« A l'occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l'exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d'aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. L'aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de déplacements urbains, lorsqu'il existe. »

L’article L228-2 du code de l’environnement est clair. Le refus de la métropole de l’appliquer l’est tout autant.

Le vélo

Le Collectif Vélo en Ville en est bien conscient et c’est lui qui est à l’origine des 5 procès fait à la métropole. A chaque fois, le tribunal administratif a jugé les aménagements de la métropole illégaux et l’a condamné à les modifier, sans que la métropole ne réagisse jamais.

Tout commence en 2009, le CVV demande d’abord à la métropole d’inclure des pistes cyclables dans le nouvel aménagement une fois que le projet a été rendu publique. Ensuite la métropole refuse et entame les travaux de voirie sans prévoir d’aménagements cyclables.

Ceci implique une plainte de l’association, avec un jugement rendu deux ans après, par le tribunal administratif, qui condamne la métropole à modifier son aménagement. Puis s’écoule deux ans sans que la métropole ne fasse rien. Ce qui entraîne une nouvelle plainte du collectif.

A ce jour, nous attendons toujours la décision du tribunal sur cette seconde plainte déposée par l’association concernant le premier aménagement (celui de la rue Augustin en 2009). Il faut noter que le collectif a le soutien d’un avocat émérite, Monsieur Candon, ce qui permet d’éviter les marasmes judiciaires. Dans d’autres cas, la FUB dispose d’une cellule juridique pour orienter les associations lors procédures judiciaires.

Dans ses aménagements plus récents, la métropole a trouvé une parade à l’article L228-2 du code de l’environnement. Elle donne le statut de « zone 30 » à chaque nouvel aménagement, tout en n’y mettant ni corniches ni dos d'âne et même en oubliant parfois les panneaux. Ce statut de zone 30 à l’avantage de ne pas avoir à créer d’aménagement cyclable et les membres de CVV observent que les usagers continuent à rouler à 50km/h sans être sanctionnés.

Des associations qui s’organisent

L’association Collectif Vélos en Ville est la plus importante de la ville. Elle a pour objet de sensibiliser, de former et de faire participer le public le plus large possible au développement du vélo. Elle appartient au réseau national de la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB), ainsi qu’au réseau national de l'Heureux-Cyclage.

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Le collectif propose plusieurs types de services comme l’atelier solidaire de réparation de vélo ouvert six jours par semaine. Fondé sur les principes de l’économie sociale et solidaire et de l’éducation populaire, c’est un lieu d’apprentissage et d’échange entre les adhérents et les bénévoles de l’association, siège d’une grande mixité intergénérationnelle et culturelle.

Ce lieu permet également une activité de recyclage des vélos et de marquage anti-vol Bicycode. L’association gère aussi une activité de Vélo-Ecole pour adultes, des sorties à thèmes deux fois par mois, auxquelles participent des personnes non-voyantes sur tandem. Ces activités sont toutes accessibles gratuitement pour les adhérents.

Dans son dispositif « Festival Cyclable », vainqueur 2010 des trophées nationaux du vélo, l’association met à disposition son expertise à des organisateurs ou porteurs d'événements désirant adopter une démarche éco-responsable (comme le festival de musique électronique Marsatac).

L’association organise également des événements « cyclistes visibles » pour le compte de la sécurité routière comme la semaine européenne de la mobilité, la semaine européenne du développement durable ou encore la Fête du Vélo.

Le Collectif vélo en ville fournit également son expertise de conseil en éco-mobilité dans le cadre de Plans de Déplacements en Entreprise (PDE) et de Plan de Déplacement en Administration (PDA). Elle collabore aussi bien avec les entreprises privées que les collectivités publiques.

Le Collectif Vélos en Ville n’hésite pas non plus à donner son expertise sur les aménagements cyclables des différentes collectivités. Il participe à l’élaboration de documents de planification comme les PDU (plan de déplacement urbain de la métropole) ou les SCOT (schéma de cohérence territorial de la métropole).

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A noter l'action toute récente (photo ci-dessus) réalisée par le CVV : la mise en place d'une piste cyclable éphémère sur la célèbre Canebière !

La situation à l’échelle de la métropole n’est pas mieux que celle de la ville. Certes la métropole est obligée par la loi à faire des enquêtes publiques et des réunions d’information. Mais elle le fait pour la forme et n’a encore jamais pris en compte les rapports détaillés fournis par les associations cyclistes.

Aujourd'hui la métropole couvre quasiment tout le département et il n’y a aucune liaison cyclable à l’échelle métropolitaine. Pour avoir une action plus importante à cette échelle, le collectif vélo en ville (strictement marseillais) va créer une fédération regroupant les associations cyclistes des villes de la métropole : RamDam. Son but étant de faire du lobbying de manière plus efficace auprès des élus.

Des vélocistes qui s’adaptent à la situation du vélo dans la ville

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Absence d’intermodalité, dénivelé important, élus pro-voiture, mentalité non sensible au vélo, la ville de Marseille a plusieurs particularités. Ceci laisse donc penser à une adaptation des produits par les vélocistes. Pourtant, Romain, le directeur du magasin Marseille Cyclable (3 salariés et 400.000€ de chiffre d’affaire) nous assure qu’il n’adapte pas les produits à la ville mais plutôt son argumentaire.

Il insiste surtout sur le fait que se déplacer à vélo est plus économique et plus rapide car les quelques cyclistes urbains de Marseille le font surtout du fait de sensibilités écologiques. Et c’est vrai qu’il faut être un convaincu pour slalomer entre les 4x4 de Marseille qui foncent dans le centre-ville. La seule différence des produits de Marseille cyclable est qu’il vend des vélos à assistance électrique avec des moteurs plus performants (du fait du fort dénivelé).

"la métropole subventionne l’acquisition de VAE par les habitants" Même si la métropole n’a aucune politique intermodale, la vente de vélos pliants (20% du nombre de ventes) permet aux usagers d’allier le vélo à d’autres modes de transport.

En termes de nombre de vente, la majorité des vélos vendus sont des vélos de ville. Mais il tire la majorité de son chiffre d'affaire de la vente de vélos électriques.

Sa stratégie pour se démarquer est de fournir des conseils de qualité en plus du matériel. D'ailleurs, la métropole subventionne l’acquisition de VAE par les habitants à hauteur de 40.000€ par an, c’est la seule politique favorable au vélo de Aix-Marseille. Mais ça permet à Romain de multiplier par trois ses ventes de VAE et d’augmenter considérablement son chiffre d’affaire.

"ils finissent généralement par acquérir leur propre monture"

Le responsable de Marseille Cyclable se réjouit aussi du vélo en libre-service marseillais qui permet aux habitants de faire un premier pas vers le vélo car ils finissent généralement par acquérir leur propre monture … chez lui. Il estime que le réseau VLS « Le Vélo » devrait s’étendre à la périphérie et ne pas se cantonner aux axes touristiques comme c’est le cas pour l’instant.

Le magasin commence aussi à développer de la location de vélo en longue durée et il favorise la location de flottes de vélos à des entreprises plutôt que la location à des particuliers (moins rentable). Par exemple, à Marseille, la société Orange est un de ses clients. A ce jour, le magasin Marseille-cyclable est le leader en termes de location longue durée.

La boutique de Romain connait un certains succès et il a pour perspective d’ouvrir un nouveau magasin dans un quartier avec d’autres pratiquants pour augmenter son offre. Selon lui, le vélo devient à la mode, même si le sentiment d’insécurité reste un frein important.

Crédits photos : Patrick Bauduin, Denis Bocquet, Nicolas Nova.

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