Où sont les femmes (à vélo) ? Cyclofix s'est posé la question
Où sont les femmes (à vélo) ? Cyclofix s'est posé la question

Où sont les femmes (à vélo) ? Cyclofix s’est posé la question

Article publié le jeudi 24 mars 2022 à 18h45 et mis à jour le vendredi 25 mars 2022 à 10h40.

Le service de réparation vélo Cyclofix organisait mardi dernier un atelier-conférence qui avait pour thème "La féminisation du vélo". En 2019, une étude indiquait que les hommes sont 2,5 fois plus nombreux à pédaler que les femmes en France. Chez Cyclofix, sur 150 réparateurs vélo, seulement trois sont des réparatrices. Même dans le lectorat de Weelz!, la gent féminine est sous représentée (seulement 20%). Mais où sont les femmes (à vélo) ?

Les filles, elles voient le mâle partout ?

Ce mardi 22 mars 2022, Cyclofix organisait une conférence intitulée "féminisation du vélo : pratiques urbaines & métiers". Nous y étions et nous vous proposons ci-dessous notre retour sur cette matinée. Un sujet pas forcément simple à commenter quand tu es un homme blanc, cisgenre, d'environ 50 ans. Pas franchement l'archétype de la personne concernée en somme. A moins au contraire que le fait d'être un homme blanc, cisgenre, d'environ 50 ans, qui roule en lycra souvent, fasse de mon profil, l'archétype de la personne à qui s'adresse ce type de sujet ? Je ne sais pas, je vous laisse décider. Pour ma part, je me suis senti concerné, et je me dis que c'est déjà pas mal.

"Les filles, elles voient le mâle partout ?" - Et voilà, un gros titre qui, sous prétexte de faire un petit jeu de mots, pourrait lancer une polémique. D'autant, qu'il n'y a pas si longtemps, je fus associé à un petit scandale dont Twitter a le secret. Un autre homme (même profil que moi, cf plus haut) propose sa liste personnelle des ministres fictifs qu'il verrait bien au prochain gouvernement s'il était cyclable. 16 profils de tweetos sont proposés, je suis dedans. Dans la liste, que des mecs. Le drame. La toile s'enflamme (enfin, l'enflammage reste relatif hein ! Suffisant en tout cas pour se demander ce qu'il se passe). Certain·e·s exigent du twittos auteur de l’infamie un mea culpa et des excuses. D'autres se demandent pourquoi les 16 twittos mentionnés ne se désolidarisent pas de l'auteur. Certain·e·s y voient "une volonté délibérée d'invisibilisation du genre féminin".

Les femmes et le vélo, sujet de la conférence Cyclofix à Paris le 22 mars dernier
Un peu de rose ne nuit pas

Il aurait été très simple de proposer sa liste, en précisant "j'y ai mis de la parité" ou "mon gouvernement cyclo serait 100% féminin". Très simple de réagir avec finesse en somme (et peu importe de savoir kicékiacommencé nous ne sommes plus au CM1, si ?).

Mais Twitter n'est pas un réseau social qui incite à la finesse. Je comprends l'agacement qu'a pu produire cette liste 100% masculine. Je ne comprends ni l'emballement, ni la montée en épingle du sujet (1). L'auteur du tweet initial n'est pas candidat aux présidentielles. Il ne dit jamais "c'est la meilleure liste de ministres (fictifs)". Son propos ? Juste une liste à laquelle il pense. Il n'oblige personne à être d'accord avec lui. Bref, l'impression qu'on a vu le mal partout en voyant les mâles partout (la polémique peut commencée là !).

Les femmes et vélo - La conférence en question

A propos de voir le mal partout. Il n'y a rien qui vous choque dans l'intitulé de cette conférence ? "Pratiques urbaines" Moi si. Et les femmes qui pédalent à la campagne, elle puent des pieds ? Personne pour s'adresser à elles ? Sommes-nous obligés de nous exiler en ville pour avoir le droit de se sentir concerné par la féminisation des pratiques du vélo ? Encore une volonté d'invisibilisation d'une minorité dans la minorité. Si tu es une femme qui pédale à la campagne, tes problèmes, tout le monde s'en fout. Nous pourrions faire un laïus, sur "les mots ont un sens", nous offusquer et brandir une pancarte, parlons de "vélo au quotidien" plutôt que "vélo urbain". Sauf que "vélo quotidien", les femmes qui ne roulent que le dimanche, en lycra, elles puent des pieds elles aussi ? Va falloir y mettre un peu de bon sens. Et beaucoup de bonne volonté parce que sinon on ne va pas s'en sortir !

Pour s'en sortir ? Donnons la parole aux femmes

Des femmes et un vélo

Environ une soixantaine de participants à cette conférence, quelques hommes dans l'assemblée. Une grande minorité. C'est intéressant d'être un homme dans une assemblée de femmes, sur un tel sujet. Clairement avant de prendre la parole ou émettre un commentaire, tu tournes 21 fois la langue dans ta bouche. Même, plus précisément, tu t'abstiens. Les femmes présentes ne sont pas venues écouter l'avis d'un homme. Je confesse, je n'ai pu réprimer un "alors on fait quoi ?" spontané quand les filles expliquent que c'est pénible ces vieux mecs (lourds) qui ne peuvent s'empêcher de proposer de l'aide à une jeune femme qui répare son vélo sur le bord de la route. Ces mêmes filles qui prônent la bienveillance et l'entraide. Je ne peux peut-être pas comprendre. D'où ma réaction, "Je fais quoi ?". Dois-je faire encore plus gaffe quand je suis en cuissard et lycra, l'incarnation parfaite du mâle mal.

Une matinée en trois temps

Temps 3 : tour à vélo dans Paris

Je commence par la fin et mon retour sur ce temps 3 va être très bref, je n'ai pas participé à cette balade parisienne, je n'ai donc rien à en dire ! Commencer par la fin me permet de vous raconter tranquillement les deux temps précédents.

Temps 1 : choisir son vélo et l'entretenir

Élise Caron, designer industriel & ingénieur (2) en mécanique prend la parole après les mots de bienvenue de Pauline de chez Cyclofix (nos hôtes du jour). Elle explique à l'assemblée comment choisir son vélo, comment le régler, comment l'entretenir. Élise connait son sujet, la pratique du vélo. Son discours se veut hyper accessible, rassurant. Elle explique comment bien régler son vélo (importance d'avoir une bonne position). Elle liste les quelques outils indispensables pour entretenir son vélo en autonomie. Jeu de tournevis, de clés plates, de clés BTR. Elle précise quelles informations sont à lire sur la chambre à air en rayon pour choisir la bonne etc.

J'avoue, à ce moment de la conférence, je crains la suite. J'ai l'impression que je vais perdre mon temps.

On apprend toujours de celles ou ceux qui en savent moins

"Au-delà du genre, le vélo, l'objet, sa pratique sont loin d'être innés"

Jusqu'au moment où une jeune femme dans l'assemblée lève la main et demande : "Heu, vous avez parlé d'un dérailleur, c'est quoi ?" puis profitant d'avoir la parole, elle ajoute "heu, vous avez aussi parlé d'une cassette, c'est quoi une cassette ?". A cet instant je me dis que cette jeune femme et peut-être d'autres plus timides auraient aimé demander : "un jeu de clés BTR, c'est quoi ? ça sert à quoi ?", "vous parlez de roue de 700, vous pouvez m'expliquer 700 quoi ?". Oui, là, la conférence devient à mes yeux (d'homme blanc etc.) intéressante. Parce qu'il y a un rappel évident.

Au-delà du genre, le vélo, l'objet, sa pratique sont loin d'être innés. C'est un processus d'apprentissage, d'expériences, d'acquis. Il est important de toujours se rappeler cela. Et transmettre tout cela est difficile. Élise a peut-être réussi à désacraliser tout cela. A moins que les personnes venues pour avoir des réponses ne repartent avec encore plus de questions ("elle a parlé de freins à disques hydrauliques ou mécaniques... Qu'est-ce qui est mieux dans mon cas ?" se demande peut-être la jeune femme qui vient de découvrir le mot dérailleur).

Un dérailleur Tiagra posé sous une cassette

Temps 2 : Féminisation des métiers du vélo

Une table ronde, sans table, encore moins ronde avec une discussion entre Marie-Xavière Wauquiez, fondatrice et présidente de l'association Femmes en mouvement, Ophélie Laffuge, fondatrice de Beyond My Bike et Caroline Labroue, co-fondatrice de Je suis à vélo. Elles racontent librement les transformations qu'elles constatent dans l'espace public, les difficultés qu'elles rencontrent en tant que femme à vélo. Les évolutions (lentes et parfois maladroites) de l'industrie du cycle.

Le vélo en cuissard et lycra est aussi abordé, le vélo hors centre-ville aussi (Coucou les digressions, ai-je besoin de vous rappeler le thème de la conférence ?). Les difficultés d'être entrepreneuses dans le monde du vélo. Les questions de sécurité (perçues ou réelles) sont aussi au programme. En substance, les échanges nous rappellent que le vélo n'est finalement qu'un reflet d'une société pensée par et pour les hommes. Marie-Xavière, Ophélie et Caroline semblent s'accorder sur le fait que rouler (ou se déplacer) à vélo est formidable. Elles font aussi le même constat, c'est quand même, de leur point de vue, plus difficile pour les femmes.

Hasard ! le porte-bébé est posé sur un vélo piloté par un homme

Les femmes et le vélo ? Pas si simple

"Elle insiste sur la notion de donner envie de pédaler, et moi, écoutant cette intervention, je bois enfin du petit lait."

"C'est plus difficile pour les femmes" - c'est, sans forcément s'en rendre compte, le message principal transmis pendant ce temps 2. Élise, qui a écouté attentivement, ne peut laisser la matinée se conclure sur un tel message. Elle demande du positif. Conte ses sorties dans des groupes tel que le "ride du mercredi", où je la cite de mémoire "le sujet du genre n'est pas un sujet. Le seul truc qui intéresse cette communauté ? Savoir si tu roules ? Le reste n'est que détails". Élise rappelle la force et l'intérêt des communautés de cyclistes telles que les GOW. Elle insiste sur la notion de donner envie de pédaler, et moi, écoutant cette intervention, je bois enfin du petit lait.

Elles savent souder aussi, chez Avalanche notamment

Tentons de donner envie

En fait, avec cette conférence sur les femmes et le vélo, j'ai comme l'impression d'avoir vécu en vrai ce que je peux ressentir quand je traîne sur Twitter. Quand les cyclistes du quotidien, impliqués dans leur mobilité, militants à leur façon, ne peuvent s'empêcher de conter leurs mésaventures quotidiennes avec les autres usagers de la route. Dénoncer les mises en danger vécues ou perçues. En mettant en ligne tout cela, ils donnent l'impression que pédaler en ville (ou la campagne) ce n'est ni agréable, ni réjouissant. Malgré eux, ils douchent l'enthousiasme de celles ou ceux qui étaient presque convaincus que le vélo, c'est une mobilité qui leur conviendrait. C'est aussi en substance ce que fait remarquer Élise : attention à ne pas être que dans le négatif.

Vélo et informatique, mêmes constats

Comme l'impression aussi qu'il est prudent de ne pas tenter de convertir, coûte que coûte, les autres à notre vision du vélo. Être au quotidien devant un écran d'ordinateur ne signifie pas s'intéresser à l'informatique. Ça ne signifie pas avoir envie de savoir comment ça fonctionne. L'ordinateur peut être juste considéré comme un bon outil pour travailler. On n'est pas obligé d'aimer son ordinateur, ni d'avoir envie de savoir comment il fonctionne (croyez-moi, je sais de quoi je parle - (Ndlr: Nous aussi)). Vous avez toutes le droit (et vous aussi messieurs, vous avez le droit) de considérer votre vélo avec aussi peu d'intérêt que votre ordinateur (ou un jeu de clés plates).

Là, ça dessoude plutôt

Tentons d'accepter la différence d'envies

Son vélo, c'est OK de le considérer simplement comme un outil de mobilité urbaine (ou quotidienne). Elles sont nombreuses (ils le sont aussi) à ne pas avoir envie de savoir comment un vélo fonctionne ; à ne pas aspirer à un semblant d'autonomie en mécanique vélo. Mesdames, Mesdemoiselles, ne pas vous intéresser à la mécanique de votre vélo ne fera pas de vous une traitresse de l'empowerement féminin (3). Messieurs, ne pas savoir réparer une crevaison ne fera pas de vous un sous-homme ou une mauviette.

Et puis, ne vous inquiétez pas, si vous êtes en milieu urbain (4), il y a de fortes chances qu'un mécano Cyclofix s'en occupe. Si vous avez vraiment du bol, le mécano sera une mécano. Faut vraiment avoir du bol, elles sont 3 sur 150. Cyclofix nous le jure dans le blanc des yeux, ils s'emparent du sujet, d'autant qu'ils ont 53% de clients qui sont des clientes. Pour finir, vous pouvez revivre cette conférence sur YouTube, en filant là.

Notes

(1) : vous pouvez me rétorquer que si je ne comprends pas le problème, c'est parce que je suis une grande partie du problème. La boucle sera bouclée. On aura bien avancé, c'est super.
(2) : c'est ainsi qu'elle se présente, sans féminiser ses métiers. Je prends donc la liberté de ne pas mettre un "e" au diplôme "ingénieur". Je précise avant que l'on me fasse un reproche.
(3) : cette affirmation est tenue par un homme blanc, cisgenre, d'environ 50 ans. Elle est donc sujette à caution.
(4) : si vous êtes en milieu rural, ce n'est pas parce que vous puez des pieds que Cyclofix n'est pas là, c'est juste qu'ils n'ont pas encore trouvé leur super mécano dans votre coin.

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